- 31 décembre 2024
- 25
Le Data Center en questions
ADI : Serait-il prétentieux d’affirmer que le Data Center est l’instrument de l’autonomie d’une administration douanière qui a su prendre son destin en main en refusant de se maintenir dans la dépendance avec des serveurs hébergés à l’étranger, une gestion des données échappant complètement à son contrôle et des obligations de paiement associées à l’intégration de toute nouvelle fonctionnalité indépendamment des frais de location d’un système dont la rentabilité reposait en grande partie sur son opacité ?
Outre des investissements conséquents, il a fallu une bonne dose de courage pour y arriver. Ce fut naturellement une entreprise délicate, particulièrement complexe. Mais ce qui se jouait là était trop important : il s’agissait rien de moins que le destin d’une institution au cœur de l’action publique. Et pas seulement en tant qu’instrument de régulation des flux de marchandises. Maillon essentiel dans la chaîne budgétaire de l’Etat, préservation des intérêts économiques et financiers nationaux, protection du territoire de la République et des citoyens contre les méfaits des trafics illicites : l’accumulation de ces obligations confèrent à la douane le rôle de pièce maîtresse dans la vitalité et la performance de la machine étatique, d’acteur à part entière dans la pérennité et la sauvegarde de ses fondamentaux. Au regard de tels enjeux, il est logique de penser que la continuité de ses missions ne pouvait s’assurer que dans l’indépendance, s’assumer que dans l’impératif de prendre en charge ses propres besoins, y compris en matière de gestion des procédures douanières dont la dématérialisation trouve sa source dans les progrès technologiques. C’est pourquoi il était nécessaire de fermer la parenthèse DP World et son offre de système de gestion douanière appelé Mirsal auquel la douane de Djibouti a recouru à partir de l’année 2006.
L’alternative ne s’est-elle pas construite sur le rejet de ces concessions qui, aux yeux de la douane djiboutienne, sapent l’idée même d’un partenariat gagnant-gagnant en cela qu’elles compromettent son indépendance ?
On peut partir de ce postulat pour expliquer la décision de tourner définitivement la page Mirsal, de bâtir soi-même autre chose à la place. C’est plus commode a posteriori. Il est vrai qu’il y a un lien de causalité qui ne saurait être minimisé ou occulté. Il n’en reste pas moins qu’il ne suffit pas de vouloir se délester de quelque chose pour être en capacité de trouver aussitôt un moyen de substitution autrement plus efficace et plus adapté à ses besoins et à ses aspirations d’autonomie. De fait, l’effort qui a été porté dans la mise en place d’une alternative fiable a été à la fois ardent et patient. Il fallait en finir avec la dépendance et les coûts liés à l’utilisation de Mirsal. Il n’y avait pas d’autre choix. La seule issue qui s’offrait à la douane djiboutienne passée sous les fourches caudines de DP World quelques années plus tôt, c’était une voie royale qui la conduisait à s’atteler à un chantier colossal. Avec la certitude que les résultats escomptés seront au rendez-vous. Et en se donnant, bien sûr, les moyens de ses ambitions. A toutes les étapes de ce long et minutieux travail de construction, l’exigence de réussir était là. Intacte. La volonté d’aller au bout aussi. Quel qu’en soit le prix. Ou les obstacles à surmonter. On en mesure aujourd’hui l’ampleur quand on regarde le chemin parcouru. Or, il ne s’agit pas ici de se livrer à une sorte de séance rétrospective quand bien même cela fut une aventure exaltante. Seules comptent les aspirations à un avenir meilleur. Et pour la douane, celui-ci passe nécessairement par la possibilité d’améliorer encore davantage les services aux usagers.
Avec le recul, serait-il injuste de penser que l’expérience Mirsal dont DP World a été le promoteur a aiguisé la détermination de l’institution douanière nationale à écrire sa propre histoire en investissant massivement dans l’acquisition d’équipements de haute technologie permettant de disposer d’un système de gestion sécurisé via ce dispositif sophistiqué qu’est le Data Center ?
C’est vraisemblable. Mais tout ce qui est vraisemblable n’est pas forcément vrai. Gardons-nous donc de tomber dans ces schémas un peu trop simplistes. Si l’administration douanière nationale a pu se doter d’un Data Center en arrivant à mobiliser les ressources humaines et financières nécessaires, c’est d’abord parce que les bonnes décisions ont été prises aux bons moments. C’est aussi parce que la prise en charge par elle-même de tous ses besoins, condition sine qua non d’une indépendance effective, était la stratégie qui sous-tendait toute son action depuis des années. La combinaison de ces facteurs a agi comme un aiguillon pour mettre fin à la dépendance et tracer son propre chemin.
Le douane a fait le Data Center mais le Data Center a fait la douane en la propulsant à la pointe de nouvelles technologies. Pas vrai ?
En partie seulement. Car la douane a préexisté à la création de son Data Center dont elle n’est pas peu fière aujourd’hui. Rien ne serait plus faux de soutenir le contraire. Les investissements dans les équipements tout autant que la formation du capital humain ont fait émerger la douane moderne dont le cheminement est synonyme de quête d’un futur possible à travers les formidables ressources ou les immenses opportunités liées aux nouvelles technologies. Cette vision quelque peu avant-gardiste se manifeste avec autant d’acuité dans le Data Center qui en est à la fois le produit et l’élément moteur. A l’aune de cette assertion, la création du Data Center ne fut pas seulement une épreuve. Elle a apporté la preuve que l’on peut se hisser à la pointe de la technologie à condition d’intensifier les dynamiques d’investissement dans l’innovation.
Dans quelles conditions s’est opérée la transition vers SYDONIAWorld dont la dernière version vient d’être mise en place avec l’appui de la CNUCED ?
Il serait difficile d’en relater ici toutes les péripéties. La principale tâche a été de collecter, souvent de manière très artisanale, toutes les données que le renoncement au système Mirsal n’a pas permis de récupérer. Il a fallu assembler toutes les pièces du puzzle, recoller les morceaux, avancer étape par étape. Avec obstination. Et en connaissance de cause : il était impossible de revenir en arrière. L’administration douanière nationale n’en voulait plus. Elle aspirait à autre chose qu’à un dispositif doublement contraignant : humainement et financièrement. Elle avait pris ses dispositions dans cette perspective. Et, le moment venu, elle a pris ses responsabilités. Le changement de cap qui s’est traduit par l’adoption en 2012 du système SYDONIAWorld (toujours en vigueur) n’a pas été donc sans heurts. Il n’aurait pu se concrétiser sans cette masse de travail réalisé en amont. Pour ce faire, la douane djiboutienne n’a pu compter que sur ses seules ressources.
La prévention de tout dysfonctionnement à l’intérieur de ce joyau technologique que constitue le Data Center est sans aucun doute un souci de tous les instants. Quelles sont les mesures prises ou les moyens déployés dans ce sens ?
Il y a tout un arsenal de surveillance dont le déploiement a uniquement pour objectif de déceler la moindre défaillance matérielle ou acte de négligence. Quelques exemples suffisent pour éclairer l’ampleur et la dimension ultra sophistiquée des moyens utilisés en ce sens. L’accès au Data Center étant strictement encadré, il suffit qu’un agent de service laisse entrouverte la porte quelques secondes de plus qu’il n’en faut pour y accéder, et une alarme se déclenche. Les automatismes sont en permanence sollicités, permettant ainsi d’anticiper les excès de chaleur qui pourraient résulter d’une panne dans la climatisation, et donc de réparer à temps. Il en est de même en cas de rupture de la connexion haut débit. La coordination avec l’opérateur national, Djibouti-télécom, se déploie aussitôt pour y remédier le plus tôt possible. Le meilleur dans tout cela, c’est qu’aucun impact structurel n’est à craindre car les données sont conservées dans les serveurs de la douane. De ce point de vue, la création du Data Center a été un pari gagnant.
Le Data Center ne serait-il pas appelé à gagner en puissance près de 15 ans après sa création ?
Cela est d’autant plus vrai que la douane a prévu de se doter très prochainement de nouveaux serveurs dont la capacité est équivalente soixante-dix fois à celle des serveurs actuellement utilisés. La possibilité d’améliorer les prestations fournies aux usagers réside dans l’innovation et l’apport d’un personnel mieux formé. La direction générale de la douane en est non seulement convaincue, mais elle est plus que jamais déterminée à concilier ces deux objectifs pour inaugurer de nouvelles perspectives d’avenir.